Engager une politique de la donnée sur son territoire
Certains la décrivent comme le nouvel or noir dont les gisements n’attendent qu’à être exploités. Certains, parfois les mêmes, à l’instar des hydrocarbures, appellent à une plus grande frugalité dans leur usage. Ces dernières décennies, la donnée est peut-être un des sujets qui a fait couler le plus d’encre. On la retrouve au cœur de toutes les innovations telles que le deep learning, la blockchain, les projets de territoires intelligents (bâtiments intelligents, smart grid, stationnements intelligents, mobility as a service etc.). Mais parce que ces données touchent parfois à l’intime de nos vies de citoyens, elles suscitent également de légitimes interrogations : comment nos données personnelles sont-elles exploitées ? Les plateformes qui les hébergent sont-elles suffisamment protégées des nouvelles menaces cyber ?
Au-delà même de la société civile, la transversalité nécessaire au pilotage de nos grandes politiques publiques, à l’image des plans ambitieux pour le climat qui touchent aussi bien la mobilité, l’urbanisme que la consommation des ressources en eau et en énergie, bouscule l’organisation silotée de nos administrations.
C’est donc avec une « approche intégrale » que les sponsors de l’usage de la donnée d’intérêt territorial devront aborder ce nouveau défi. Justifier les investissements par l’usage auprès des élus, sensibiliser les directions métiers aux gains tangibles d’une gouvernance partagée de leurs données, rassurer la société civile en l’impliquant dans cette démarche d’amélioration et d’innovation de l’offre de service publique.
Nous nous attacherons donc dans ce dossier à définir ce qu’est la donnée d’intérêt territorial et qui la produit. Nous aborderons ensuite certains défis engendrés par la réglementation sur la protection des données à caractère personnel. Enfin, nous esquisserons les étapes clés pour initier une démarche data durable au service de la rationalisation, de la qualité et de l’innovation des services publics.
Qu’est-ce que la donnée d’intérêt territorial ?
La donnée d’intérêt territorial est une donnée qui seule ou enrichie avec d’autres données, permettra l’acquisition d’une connaissance utile pour le territoire. Le spectre est donc large : trafic sur un axe routier, température d’un ilot de chaleur, consommation d’énergie d’un bâtiment, tweet d’un usager, nombre de jours moyen pour la délivrance d’un passeport… cette donnée se veut être un reflet de toutes les réalités du territoire. Extraire la connaissance de ces données brutes est porteur de promesses vertigineuses : évaluer efficacement les politiques publiques, offrir aux usagers des services adaptées à leurs attentes, communiquer de façon plus transparente avec les citoyens et mieux les impliquer dans la fabrique du territoire. Et pour bien se persuader que tout ceci n’est pas utopique, commençons par faire un tour d’horizon des gisements de données qui sont à la disposition de nos institutions.
Les gisements de la donnée d’intérêt territorial
Les administrations peuvent accéder aux données générées par plusieurs types de producteurs :
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Leurs services
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Leurs délégataires de services publics
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Les établissements publics
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Les acteurs privés
Passons-les en revu en les illustrant par quelques cas concrets.
Les données produites en interne par l’administration
L’ensemble des services des administrations sont des producteurs de données. Les mediums de collecte principaux sont :
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Les outils métier: il s’agit de l’ensemble des logiciels dont se servent les services pour porter leurs processus. De la gestion financière à la gestion des cimetières, en passant par la cartographie des tournées de collecte des déchets, aucune direction métier ne fait exception.
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Les capteurs connectés: on retrouve dans cette catégorie tous les objets connectés ayant pour vocation la gestion des accès (badgeage bâtiment, bornes escamotables, entrée de parking, de déchetterie etc.), le fonctionnement des bâtiments (détecteur de présence), la régulation du trafic routier (unités de bord de route), la sécurité (caméras de surveillance), et encore bien d’autres finalités. Ils représenteront dans quelques années la part la plus importante des données collectées par les collectivités.
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Les portails usagers: point d’entrée pour permettre aux usagers de prendre connaissance des dernières communications de l’administration, d’échanger avec elle, mais aussi d’accéder aux services dématérialisés. En tant que vitrine pour les citoyens, ces interfaces web sont stratégiques pour renvoyer une bonne image de l’établissement public qui le maintient. Les données de navigation sont donc à analyser avec attention pour comprendre l’interaction des administrés sur le site, et détecter les points d’attention ergonomiques.
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Les applications citoyennes : il s’agit le plus souvent d’extensions des portails web dans un format d’application mobile. Elles permettent d’améliorer l’expérience des usagers en utilisant notamment leur localisation : listing des activités, commerces et services à proximité, avis de travaux sur les axes routiers environnants etc. Elles sont également le support privilégié pour la démocratie participative.
Les données produites par les délégataires de service public
La Loi Lemaire pour une République Numérique de 2016 stipule que les données collectées dans le cadre d’une délégation de mission de service public sont la propriété de l’administration concédante. Les délégataires ont donc le devoir de les fournir dans un format brut et exploitable. Les modalités contractuelles de la transmission de ces données sont formalisées au sein de clauses contractuelles dite d’interface, lors de la négociation du marché de délégation. En revanche, les frais de mise en œuvre de ces interfaces sont à la charge de l’administration. Des travaux d’harmonisation des définitions métiers sont en général nécessaires entre les parties prenantes, afin de permettre une exploitation de données brutes générées dans le cadre de processus métiers qui ne sont pas toujours maîtrisés en interne au sein de l’autorité organisatrice.
Exemple : dans le cadre du service mobilité d’une métropole française, Thales doit fournir l’ensemble des données brutes de billettique, et Keolis l’ensemble des données (parfois en temps réel) liées aux transports en commun (position GPS de chaque bus et tram ainsi que son avance / retard sur l’horaire, tracer des itinéraires, tarifs, horaires, perturbations etc.).
Les données produites par les établissements publics
La loi Lemaire pour une République Numérique introduit l’ouverture par défaut des données publiques. Les administration d’Etat, les établissements publics, les collectivités territoriales de plus de 3500 habitants sont concernés par cette législation (en plus des organismes privés chargés d’une mission de service public dont il est question dans section précédente).
La plupart des régions et des métropoles possédaient déjà leur propre portail Open Data, avant même la parution de la loi. Depuis, la quantité et la qualité des jeux de données ne cessent de s’améliorer. Du côté de l’Etat, le Service Public de la Donnée porté par Etalab a ouvert un certain nombre de jeux de données de références très utiles, tels que les données de transport, la base d’adresse nationale ou encore l’annuaire des entreprises.
Les données produites par les acteurs privés
Nous ne traitons pas dans cette section des acteurs privés en charge d’une mission de service public, mais bien des acteurs privés, producteurs de données privées. Dans la majorité des cas, les données exposées par l’entreprise sont payantes, et accessible au travers d’un hub de données. C’est le cas par exemple d’Energisme qui permet à certaines administrations de piloter l’ensemble de la consommation d’énergie de leurs bâtiments au sein de tableaux de bord unifiés. C’est également le cas des offres Geostatistique (SFR) et Flux Vision (Orange), qui offrent une visualisation cartographique des fréquentations pour des zones plus ou moins étendues. Pour un territoire, ces informations sont très utiles pour analyser les flux de touristes par saison et point d’intérêt, la dynamique de son centre-ville, ou bien connaître l’origine des participants à un évènement.
Mais depuis l’apparition du concept de données d’intérêt général consacrée dans la Loi pour une République Numérique (voir concomitamment), un certain nombre de lois sectorielles sont parues, contraignant les acteurs concernés d’ouvrir leurs données pour un périmètre spécifique et une finalité précise. On trouve par exemple :
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La Loi d’Orientation des Mobilités (2019) demande aux entreprises de transport, ainsi qu’aux autorités organisatrice de transport, de diffuser les données statiques, dynamiques et historiques des déplacements des services de transports, mais aussi de free-floating (voitures en libre-service, vélos, trottinettes). Ces données permettront notamment la mise en place simplifiée d’applications de transport multimodales.
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La Loi de Modernisation de notre Système de Santé (2016) qui permet de regrouper au sein du Système National des Données de Santé (SDNS), les données de l’assurance maladie, des hôpitaux, ainsi qu’un échantillon en provenance des complémentaires santé. Toute structure publique ou privée souhaitant réaliser une étude d’intérêt public pourra accéder à ces données sous autorisation de la CNIL.
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La Loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (2016) demande quant à elle aux organismes de formation les données concernant les entrées et sorties de formations ainsi que les taux de retour à l’emploi.